Le marché des crypto-monnaies a connu un engouement sans précédent en 2017, et en ce début d’année 2018 la tendance ne faiblit pas. Même si je pense que nous en sommes encore relativement loin de l’éclatement d’une bulle, tout investisseur ayant des perspectives à long terme sur ce marché doit songer à une telle éventualité. Comment ? En se positionnant sur les crypto-monnaies dont les chances de pérennité sont les plus élevées, et dont la valorisation est proche de leur valeur réelle.
Comment valoriser une crypto-monnaie ?
Des critères objectifs tels que l’ampleur du marché visé, la solidité de la solution technique offerte et le nombre de partenaires (entreprises, organismes publics et associations) qui s’y intéressent permettent de jauger la pérennité d’une crypto-monnaie. Ces critères objectifs sont bien entendu appréciés différemment en fonction des affinités de chacun, mais il y a une base concrète d’évaluation. Par contre, la problématique de la valorisation d’une crypto-monnaie est beaucoup plus complexe. Car derrière ce terme générique se cache toute une série de différences fondamentales.
Les différents types de crypto-monnaies
En schématisant, on peut dégager 3 grandes catégories de crypto-monnaies :
- Les jetons (tokens) qui servent à faire tourner des réseaux, comme Ethereum
- Les applications distribuées
- Les crypto-monnaies stricto sensu, qui servent de réserve de valeur ou de moyen de paiement
Quelle est la valeur intrinsèque des protocoles utilitaires ?
Si la dernière catégorie est beaucoup plus simple à valoriser, comment déterminer la valeur intrinsèque des “protocoles utilitaires” (1 et 2), comme les appelle John Pfeffer, qui s’est penché sur cette question épineuse dans son papier intitulé « Opinion d’un investisseur sur les crypto-actifs » ? Son analyse n’est pas très positive pour les crypto-devises de cette catégorie, telles qu’ETH.
Voici son explication :
« Les jetons qui sont utilisés sur les réseaux des protocoles utilitaires servent à gérer et à attribuer les ressources du réseau, disponibles en quantité limitée. Il s’agit de la puissance de calcul, de la mémoire et la bande passante nécessaires pour faire fonctionner la chaîne de blocs en question. Ces ressources ont un coût réel en termes d’énergie et d’équipement. Ces coûts sont pris en charge par les mineurs qui permettent à la chaîne de blocs de vivre en fournissant les ressources requises. Les mineurs sont rétribués pour leurs services soit via des frais de transaction, soit via un paiement en jetons. Si les développeurs des protocoles peuvent rétorquer que leur jeton peut également servir de moyen d’échange entre des utilisateurs, je pense que lorsque la technologie sera à maturité les jetons n’endosseront pas d’autre rôle que l’allocation des ressources informatiques, à l’exception du cas spécial des crypto-actifs qui remplissent un rôle de réserve de valeur monétaire. »
Aie ! En bref, la valeur des jetons des protocoles utilitaires serait dérivée des coûts engendrés par les ressources nécessaires pour faire tourner la chaîne de blocs. Soit de l’énergie, de la bande passante ainsi que le matériel informatique requis pour fournir la puissance de calcul. De plus, ces éléments présentent des coûts déflationnistes. Si cela ne suffisait pas, l’auteur fournit d’autres arguments pour suggérer que la valeur de ces actifs cryptographiques n’est peut-être pas aussi élevée qu’on le croit :
- Les chaînes de blocs peuvent être forkées à l’envi, ce qui créé un environnement concurrentiel particulièrement féroce. Imaginez ce qu’il adviendrait de Facebook si tout un chacun avait la possibilité de copier intégralement la base de données des utilisateurs et de contenu du site pour créer un clone ?
- La popularité d’une solution ne signifie pas qu’elle a une valeur financière. L’auteur prend pour exemple le protocole TCP/IP, qui n’est pas valorisé car personne ne le possède. Wikipedia est un autre exemple
- La concurrence entre les mineurs est un autre facteur déflationniste. Plus les coûts opérationnels d’un réseau baissent, plus la valeur des tokens baisse
- Concurrence générale : non seulement toute crypto-monnaie est susceptible de devoir faire face à la concurrence subite d’une fork, mais la concurrence entre les différents protocoles est également féroce. Par exemple, KiK est en train de considérer l’abandon de la plate-forme Ethereum, qui devient tout doucement trop chère à l’utilisation
Et, enfin, la valeur de réseau d’une version « jetonisée » d’un secteur devenu décentralisé (que ce soit Uber, une plate-forme de paris en ligne, etc.) profitera avant tout aux utilisateurs, et non aux fondateurs ou aux investisseurs.
Si vous suivez le raisonnement jusqu’à présent, cela signifie que les solutions de scaling sont également un facteur déflationniste pour la valeur de ces jetons.
Les véritables crypto-monnaies, un animal plus facile à apprivoiser
Les crypto-monnaies au sens strict du terme sont moins complexes à évaluer. À l’instar des actifs qui composent le système monétaire classique, elle peuvent présenter 3 caractéristiques (une ou plusieurs à la fois) :
- Moyen de paiement
- Réserve de valeur
- Unité de compte
Pour tenter de valoriser une crypto-monnaie sur base de ces critères, il « suffit » de se référer à ce qui endosse ce rôle dans le système monétaire actuel, et estimer les parts de marché qu’elle pourrait s’approprier. Par exemple, la valeur de marché de l’or est de 7,1 trillions de dollars. Avec 21 millions de BTC en circulation, on serait donc à plus de 230 000 $ l’unité. Si vous estimez que Bitcoin deviendra la réserve de valeur numérique de référence, on peut envisager une telle valeur de marché, voire plus en cas d’une nouvelle crise financière. Vous pensez que Litecoin peut devenir une devise aussi populaire que le dollar américain ? Sur base de l’agrégat monétaire M2 qui s’élève actuellement à 13,455 trillions de dollars, nous en serions à environ 160 000 $ par LTC.
En conclusion
Calculer la valeur juste d’une crypto-monnaie relève actuellement de l’impossible, à moins d’avoir une boule de cristal. Par contre, les éléments développés ci-dessus semblent indiquer que celles qui n’endosseront pas de rôle monétaire risquent de voir leur valeur chuter vertigineusement lorsque la bulle éclatera ou le marché se disciplinera. Il y a également le risque d’interdiction. Mais c’est encore une autre histoire, dont je vous parlerai un autre jour. En conclusion : rien d’alarmant pour les traders à court terme. Mais des choses auxquelles il vous faudra réfléchir dans le cadre de votre stratégie d’investissement à long terme.