Qui a dit quoi ? Avec Benjamin Allouch

Qui a dit quoi ? Avec Benjamin Allouch

By Benson Toti - Minute de lecture
Mis à jour 01 August 2022

« Qui a dit quoi ? » est une série d’articles lancée par Coin24 ayant pour but d’interroger les plus grands acteurs francophones du monde de la crypto-monnaie et de la blockchain pour vous éclairer sur des concepts liés à cette industrie pleine d’avenir. 

Pour cette nouvelle édition, Benjamin Allouch – Dirigeant et Fondateur de la société BSA Consult – a partagé avec moi sa vision de l’état de la régulation des crypto-actifs en France et des points qui pourraient être améliorés pour soutenir l’écosystème dans le pays.

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Qui est Benjamin Allouch ?

Benjamin Allouch est dirigeant et fondateur de la société BSA Consult, spécialisée dans le conseil en protection des données personnelles, conformité RGPD et crypto-actifs. Diplômé d’un Master 2 en droit du numérique, il a occupé plusieurs postes de juriste spécialisé, à la SNCF, la Cour de cassation et dans une PME certifiée hébergeur de données de santé. Après 2 années passées au Monténégro, il a souhaité créer sa propre société pour se lancer en indépendant. Intéressé depuis plusieurs années à la blockchain et aux crypto-actifs, Benjamin Allouch a mis à profit ses compétences de juriste pour se spécialiser sur la régulation de la blockchain, notamment la fiscalité des crypto-actifs.

Quel est l’état de la régulation des crypto-actifs en France ? 

Ma première question pour Benjamin a été de savoir quel était l’état du cadre réglementaire des crypto-monnaies et de la blockchain en France. Sommes-nous en avance ? En retard ? Quelle est la position de la France par rapport à d’autres nations.

Benjamin m’explique que parmi les pays comparable à la France en terme de développement, la France fait partie des pays ayant le plus régulé l’industrie de la blockchain et des crypto-actifs – même si au niveau de la fiscalité, la France reste l’un des pays au taux de prélèvements obligatoires parmi les plus élevés au monde. Benjamin souligne cependant que la législation française a choisi de rapidement statuer sur la fiscalité de cette industrie.

Qu’en est-il du reste ?

La France fait partie des nations pionnières en matière de législation blockchain. C’est l’ordonnance du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse qui a introduit le concept de dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP), soit la traduction juridique de la blockchain. 

Bien que Benjamin m’explique que les bons de caisse forment une catégorie confidentielle et une utilisation très limitée de la blockchain dans la vie de tous les jours, il considère tout de même que c’est un bon début. 

Vient ensuite la loi PACTE du 22 mai 2019, me dit Benjamin, qui a légiféré sur les ICO (Initial Coin Offerings), ou offres publiques de jetons, en donnant une définition de ce concept et en proposant la délivrance d’un visa facultatif accordée par le gendarme boursier français, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).

L’article 86 de cette même loi a défini la notion d’actif numérique tel que le Bitcoin, créé le statut de prestataire de service sur actifs numériques (PSAN), modifié la fiscalité des plus-values réalisées par les particuliers… En bref, un cadre assez complet, avec néanmoins de nombreux points d’interrogation.

Enfin, la dernière régulation en date concernant l’ordonnance du 9 décembre 2020 qui a pour but de renforcer « le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme applicable aux actifs numériques ».

Quels sont les côtés positifs et négatifs de ce cadre réglementaire en France ?

Pour Benjamin, l’aspect positif le plus important est certainement que le législateur français a démontré relativement tôt sa motivation et son intention de légiférer sur le sujet – dès 2016. Pendant un certain temps, la France a même voulu devenir la « crypto-nation » de l’Europe. 

Le simple fait de considérer les crypto-actifs et de confirmer leur existence est donc un point positif concernant la régulation de l’écosystème par la France. L’implication de l’AMF est aussi une bonne chose, car cela permet d’informer les épargnants et les investisseurs contre les mauvaises pratiques et les risques liés aux crypto-actifs. Après tout, on se souvient des nombreuses escroqueries pendant le boom des ICO.

Malgré tout, Benjamin souligne que c’est le côté négatif qui l’emporte et que la crypto-nation a fait son temps.

Au lieu de les aider, l’Etat met plutôt des bâtons dans les roues aux entrepreneurs du secteur. Les banques suivent le pas et sont très réticentes à octroyer des emprunts voire à simplement ouvrir le compte professionnel d’une société spécialisée qui évolue dans le monde des crypto-devises et de la blockchain. Certaines ont même carrément fermé d’office le compte bancaire d’un particulier ou d’une société touchant, de près ou de loin, au Bitcoin.

Prenons l’exemple le plus parlant – la plateforme Paymium. Benjamin m’explique que cette plateforme française a été obligée d’aller voir du côté de l’Allemagne pour trouver une banque partenaire afin de se développer, car sa banque française ne souhaitait plus être associée à son activité !

L’ordonnance du 9 décembre 2020 est le bouquet final mettant en avant une assimilation entre financement du terrorisme et crypto-actifs…

Comme me le rappelle Benjamin, cette ordonnance durcit considérablement l’accès aux marchés français des plateformes d’échange. Le virement SEPA devient obligatoire, excluant implicitement les clients non-européens. L’agrément en tant que PSAN devient indispensable même pour des plateformes ne touchant pas à l’euro, de même que la vérification d’identité. 

Une douche froide de plus pour le secteur.

Qu’en est-il de la fiscalité ?

Il y a déjà ce que l’on connaît m’explique Benjamin. Au-delà d’un montant de 305 €, l’application du prélèvement forfaitaire unique (PFU ou flat tax) de 30 % aux plus-values de cessions d’actifs numériques effectuées par les particuliers. 

Les actifs numériques regroupent les crypto-monnaies, mais la situation est encore floue concernant les stablecoins comme Tether, USDC ou encore Dai.

Pour les mineurs et les traders, une fiscalité plus ardue s’applique m’explique-t-il, celles des BNC et BIC respectivement. Ainsi, les mineurs sont théoriquement considérés comme des professionnels. En pratique, c’est plus compliqué.

Benjamin souligne aussi qu’une plateforme d’échange est considérée comme un compte ouvert à l’étranger et qu’un compte sur l’une de ces plateformes doit donc être déclaré, sous peine d’amende.

Et il y a aussi ce que l’on ne connaît pas : tout le reste ! En premier lieu, le passage entre particulier et trader. Les caractères occasionnel (particulier) et habituel (trader) ne sont pas définis à ce jour. Ensuite, quid des commerçants acceptant les paiements en Bitcoin ? Le staking, les masternodes, la DeFi, l’ICO ? Beaucoup de suppositions mais peu de certitude.

Le problème est aussi que la fiscalité des particuliers en France est quasiment confiscatoire et que nos voisins appliquent une fiscalité bien plus attractive. 

Benjamin m’explique en effet qu’en Allemagne, toute crypto-monnaie est considérée comme une monnaie privée, ce qui implique qu’elles ne sont pas taxées. Au Royaume-Uni, toute plus-value inférieure à 11 700 £ est exonérée (on est loin des 305 € français !) et, au plus, on est imposé à 20 % pour les plus-values supérieures à 34 500 £, soit le salaire annuel d’un cadre. 

En Suisse, c’est l’accueil avec le tapis rouge pour les cryptophiles avec une fiscalité à quasi-inexistante et beaucoup d’aide !

Qui a dit quoi ? Avec Benjamin Allouch – Le mot de la fin

Le législateur français s’est empressé de légiférer sans penser au caractère non-régulé des crypto-actifs. L’investisseur prend en effet un gros risque, celui de tout perdre. En récompense de ce risque, le législateur le taxe à hauteur de 30 % ! Pour couronner le tout, les moins-values ne sont pas reportables d’une année sur l’autre. Ainsi, si vous avez perdu 2 000 en 2017 et gagné 1 000 en 2020, vous êtes taxé sur les 1 000 sans tenir compte de la perte des 2 000. Une véritable aberration. 

C’est vraiment dommage que la France n’ait pas continué ses effets, car elle avait bien commencé et semblait motivée pour soutenir le développement de cet éco-système. Beaucoup de personnes innovantes se sont rapidement intéressées à la blockchain et aux crypto-actifs – ils ont investi et créé des entreprises leaders du secteur comme Ledger, Just Mining ou Paymium. 

À l’origine, le gouvernement semblait plutôt vouloir les aider. Néanmoins, comme beaucoup de choses en France, la bonne volonté a vite laissé place aux freins administratifs et fiscaux.

Benjamin m’explique que trois points cruciaux doivent être améliorés pour valoriser les entrepreneurs du secteur au lieu de les considérer comme des quasi-criminels :

  1. Mettre fin aux blocages bancaires discrétionnaires de toute activité liée de près ou de loin aux crypto-actifs et à la blockchain
  2. Alléger la fiscalité avec plusieurs options possibles (exonération jusqu’à un montant plus élevé, exonération totale à partir de plusieurs années de détention, assimilation au régime fiscal de l’or…)
  3. Revenir sur certaines dispositions de l’ordonnance de décembre 2020.

Merci à Benjamin Allouch d’avoir partagé avec nous son analyse des limites du cadre réglementaire des crypto-actifs et de la blockchain en France !